mercredi 4 mai 2011

COEUR DE PIERRE

NOUVELLE
THEME: Murs et Murmures.


« Personne ne m’écoute. Ils sont trop pressés. Ils passent.
 On m’a arrachée à ma terre de soleil et de vent pour m’abandonner ici. Ils passent et je demeure.
Qu’ont-ils donc au fond du cœur ? N’ont-ils même pas d’oreilles ? Ils m’ont laissée ici et personne ne m’écoute. Je suis loin de la solitude de mes collines. Loin de mon olivier. Loin du sifflement du vent dans les feuilles. Je suis dans le silence et l’oubli.
Ce que je dis, c’est que s’ils continuent, ils verront bien ! Ils ne savent pas à qui ils ont affaire. Je peux recommencer.
_ Chuuut !
_ Ça suffit ! Quand vas-tu cesser tes jérémiades ? Il y en a qui dorment !
_ Et d’autres qui voudraient bien dormir !
_ Qu’ils dorment ! Ils ne savent rien faire d’autre. Ils sont nés pour dormir. Moi, la vie, j’y ai goûté ; et je sais un tas de choses qui pourraient bien les intéresser, s’ils se donnaient la peine d’écouter.
_ Tu nous fatigues avec tes histoires et tes secrets.
_ Je suis ici, mais je ne devrais pas y être.
_ Tu devrais être loin ! On aurait la paix.
_ Alors repart si tu es si maline !
_ Chut ! Voilà quelqu’un qui arrive.
_ C’est un chien ton quelqu’un ! On n’intéresse plus que les chiens !
_ Non ! C’est faux ! Il n’y a pas que les chiens. J’en vois tous les jours qui me regardent.
Bon ! Je peux parler ?
_ On n’entend que toi !
_ Il faut que je vous la raconte, cette histoire. Vous devez savoir avec qui vous partagez vos jours. Vous devez comprendre que si vous ne m’écoutez pas… je peux être dangereuse.
_ Arrête ! Tu vas finir par nous faire peur ! De toute façon, on n’a pas le choix. Ça fait des jours et des jours qu’on t’écoute. On aimerait quand même bien un peu de répit. C’est tout !
_ Vous n’avez pas de cœur !
_ Ça, tu peux le dire ! Il n’y que toi pour croire que tu en as un !
_ Je ne suis pas d’ici. Je suis du pays des collines et du vent. La première fois que je l’ai vu, je sortais d’un somme, au pied d’un olivier. Il était là. Tellement beau ! Il paraissait triste. Peut-être était-ce seulement parce qu’il était seul ?
J’ai tout de suite su que je partirai avec lui. Bien avant qu’il me le demande. Je ne savais pas où, et ça m’importait peu. Je ne voulais pas le quitter, c’est tout.
_ Pff ! Le coup du coup de foudre !
_ La foudre n’a rien à voir là dedans. C’est juste une affaire de cœur.
_ Le cœur ! C’est pas pour nous, ça ! Et puis, de toutes façons, j’ai sommeil.
_Et si je te dis que je suis une meurtrière !
_ Toi ! Qu’est ce que tu vas encore inventer pour qu’on t’écoute ?
_Le vent n’avait pas de secrets pour moi. Les orages et la foudre, je les connaissais par cœur. Mais là, c’était autre chose. Dès qu’il a posé la main sur moi, j’ai su. Ses caresses m’on fait oublier le vent, le soleil, jusqu’à l’ombre de mon olivier. Il m’a dit qu’il ne me quitterait pas. Et moi, comme une idiote, je l’ai cru. Pendant presque un mois il est venu chaque jour. Nous passions des heures ensembles. Je l’écoutais, sa main posée sur moi. Le soir, quand l’ombre de l’olivier nous faisait frissonner, il rentrait. Même s’il ne disait rien, je savais qu’il reviendrait le lendemain.
Et puis est arrivé ce jour où il n’est pas venu seul. Il était entouré d’un groupe de jeunes gens et de jeunes filles et il ne m’a pas même regardée. Ce fut comme une mort.
_Elle est bien bonne celle là ! Tu crois que tu peux mourir de çà ! Ma pauvre ! Comme tu es naïve !
_Ne m’interromps pas si c’est pour me blesser ! Ils riaient, parlaient fort. Des jeunes gens comme on en voit passer ici. Pas ces culs-terreux de chez nous, non des jeunes gens de la ville. Parfumés, rayonnants dans leurs chemises blanches
_ Pff ! Tu nous fatigues. Des gens, on en voit passer toute la journée. Les culs-terreux comme les autres. Ils se fichent bien de nous.
_ Ils venaient s’asseoir sous ce même olivier où je l’avais rencontré et ils parlaient de tout et de rien. Tu les aurais entendus ! Comme ils riaient ! Ça a duré tout l’été. J’étais avec eux, je les écoutais. Leur rire dans le soleil, la poussière surchauffée du mois d’aout, leur teint chaque jour un peu plus doré. Surtout lui ! Parfois, quand il s’asseyait tout près de moi je priais pour que le temps s’arrête. Pour qu’il revienne seul le lendemain et que tout recommence. Lui et moi, pour l’éternité.
Il était tellement beau. Je ne connaissais rien de son monde.
A la fin de l’été, il est revenu seul. Il a recommencé à me regarder. A passer du temps avec moi. A poser ses mains sur moi en rêvant. Certains jours, la tristesse serrait son cœur. J’aurais voulu trouver les mots pour l’apaiser. Il m’a promis de m’emmener avec lui. Il me disait qu’il voulait que je l’écoute jouer du piano. Il était musicien. Je ne connaissais que la musique du vent et le chant de la pluie. Il m’a promis de jouer pour moi. Il ne pouvait pas me quitter. J’avais tellement rêvé de cet instant où je partirais avec lui !
Quand je suis arrivée chez lui, les autres ne m’ont même pas regardée. Ils allaient et venaient dans la maison, mais au fond de mon cœur nous n’étions que tous les deux. J’ai été privée du vent et de mon olivier mais je laissais filer le temps aux notes du piano et aux longues conversations, le soir, quand ses amis lui rendaient visite.
Jusqu’au jour où elle est arrivée.
_ Hein ! Qui ça ?
_ Réveille-toi ! Elle va encore nous raconter sa fichue histoire !
_ Taisez-vous ! Si ça ne vous intéresse pas, n’écoutez pas.
_ Son truc avec le cœur de pierre ?
_ Ouais !
_ Encore !
_ Elle est arrivée. Comme ça, du jour au lendemain, et elle n’a plus quitté la maison.
Je me suis sentie tellement seule. Même quand il jouait du piano, je savais bien qu’il ne jouait plus pour moi. Je me suis mise à la détester. Elle le rendait fou.
Les conversations avec elle sont devenues de plus en plus houleuses. Elle lui disait qu’elle voulait partir. Elle aurait dû partir ! Elle ne le méritait pas. Elle était capricieuse. Quand il posait ses mains sur moi elle s’emportait. « Tu n’as qu’un cœur de pierre ! » lui disait-elle. Qu’est ce qu’elle en savait ?
Il partait souvent. Et il me rapportait des histoires de vent et d’olivier. Des histoires de soleil qui soulève la poussière et l’entraine dans une danse magique. Quand il n’avait plus de mots, il allait au piano et j’écoutais les notes s’égrainer comme les mots qu’il ne disait  pas.
Je crois qu’elle l’a rendu fou.
_ Parce que tu crois qu’il aurait pu t’aimer, toi ?
_ Qu’est-ce qu’on t’a demandé à toi ? Rendort-toi !
_ Tu sais très bien qu’il n’aurait jamais pu t’aimer. Tu aurais mieux fait de rester dans tes collines.
_ Je n’ai pas eu le choix.
_ Est-ce que ça va s’arrêter, oui ou non ?
_ Silence !
_ J’ai pas envie de me taire ! Quelqu’un finira bien par m’entendre.
Un soir, elle est entrée dans le bureau. Elle tremblait de rage. « Je pars ce soir ! Lui a-t-elle dit. Je n’en peux plus de ta musique. J’étouffe ici ! »
Il était pâle et muet. Et puis il a enfin ouvert la bouche. « Où irais-tu ? »  Lui a-t-il demandé.
« Je rentre à Carpentras. Je ne supporte plus la vie ici. »
Moi je jubilais. Elle allait enfin partir.
Il a posé sa main sur moi. J’ai senti ses doigts se crisper.
Je sais qu’il m’a entendue. Il n’a fallu que trois coups pour qu’elle s’effondre, le crane brisé. Sa mains s’est crispée sur moi. Mais là, je crois qu’il ne m’entendait plus. C’est ça que je ne comprends pas. Pourquoi ne m’entendait-il plus ? Vous  m’entendez bien, vous !
_ Tu ne comprendras donc jamais ? Il ne t’a jamais aimée. C’est lui qui l’a tuée, pas toi.
_ Encore un qui n’aimait que lui !
_ Elle ne l’aimait pas. Elle le faisait souffrir. Si je n’avais pas été là, il ne l’aurait pas frappée. Je voulais qu’elle meure. Je voulais qu’elle disparaisse. Je voulais la tuer.  Quand il l’a vue allongée sur le sol, il est sorti et m’a emporté jusque sous l’olivier. Contre lui, je me suis assoupie. Enfin tous les deux ! Comme au premier jour ! C’est après la détonation que j’ai compris qu’il ne me toucherait plus jamais. J’ai senti glisser sur moi un liquide chaud. Et puis le froid a figé ses doigts sur moi et je suis restée là, contre lui, jusqu’au lendemain, quand des promeneurs nous ont découverts. On est venu enlever son corps. On m’a laissée au pied de ce même olivier. Je ne sais plus combien de temps s’est écoulé ensuite. Combien d’orages pour me faire oublier ses mains. Combien de vent pour balayer mes rêves. Combien de poussière pour ensevelir la marque de ses caresses.
Depuis, ils ont arraché mon olivier. Et bâti ce mur. On s’est retrouvé enfermées ensembles. Vous n’avez donc pas d’histoire ? Vous ne dites rien ? Quelqu’un va bien finir par m’entendre !
_ Tu nous fatigues ! Qu’est ce que tu veux qu’on te dise ? On est là, on t’écoute. Et des fois on aimerait bien arriver à dormir. On aimerait bien que tu te taises.
_Pourquoi les gens parlent-ils de « cœur de pierre » ? Qu’est ce qu’ils en savent ? Ils passent et n’entendent rien ! Qu’est ce qu’ils en savent de ce qui se cache dans le cœur des pierres ? Vous pouvez me le dire ?
_ Chuuut ! Tu nous empêches de dormir. » C.M.

2 commentaires:

  1. I see a pebble, a witness of ages, of stories, somethig you might take with yourself because it's smooth, it's beautiful, it's a good listener. Something that might fall from your pocket when it's all over, when you're done. A witness that can go back to where it came from. Why doesn't anyone listen to the stories it carries in it's heart ?

    I might see wrong, my vision might be blurred. Don't help me focus. This is how you trick me, letting room for my imagination. This is what I love about your stories. Giving me space for my dreams. Et si le vrai luxe était l'espace ?

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  2. Merci Marc. C’est dans cet espace de partage que les histoires qu’on porte en soi trouvent le plus de sens.kty

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